"LE MONDE LIBRE" - de Aude Lancelin

 

Aude Lancelin et « Le monde libre »

 

Le livre qu’Aude Lancelin vient de publier, Le monde libre[1], nous renseigne sur les us et coutumes, les mœurs et les turpitudes, du milieu journalistico-mondain français (et surtout parisien).  

Un terrible tableau de mœurs

Ce livre est écrit, en partie, comme un roman « à clefs ». C’est un choix, dont Aude Lancelin se justifie au début du livre. Mais, c’est un choix assez discutable. Sauf pour un lecteur de ma génération (soit de 60 ans bien passés) certaines clefs risquent d’être perdue pour de jeunes yeux. Quant à faire, on eut préféré qu’elle livre tous les noms. Qu’importe, pour qui sait lire, il y a des choses des plus intéressantes dans cet ouvrage. On y voit la montée du pouvoir de l’argent sur une presse que l’on avait cru assainir après l’occupation, et qui se révèle, les années passant, de plus en plus sensible à une forte soit masquée, soit directe, de corruption. On y voit aussi comment le pouvoir, et particulièrement celui de François Hollande, intrigue pour avoir, par le biais de choix bien réglés d’actionnaires, une presse « à sa botte ». Ni les journalistes, ni les politiques ne sortent grandis de ce livre, les premiers du fait de leurs faiblesses et de leurs compromissions, les seconds en raison de leur fascination malsaine pour les « faiseurs d’images ». Mais, quand on a renoncé au faire, et donc au savoir faire, comme c’est le cas depuis maintenant une quinzaine d’années, il ne reste plus que le faire-savoir. La communication remplace petit à petit et la politique et le journalisme, et il n’est pas vraiment surprenant que le P « S » se trouve à la tête de ce mouvement. Aude Lancelin, il faut le rappeler, est une journaliste expérimentée qui, après avoir été la directrice adjointe de Marianne, accepta un poste similaire à l’Obs, ex-Nouvel Observateur, avant de s’en faire licencier sous un prétexte controuvé en raison de ses articles favorables au mouvement Nuits Debout. On pourrait s’attendre à ce que le livre revienne sur ce triste épisode, dont la presse française, et l’Obs en particulier, ne sort pas grandi. Sur ce point, on ne sera pas déçu.
 
Mais, ce livre se veut aussi une chronique des dérives du milieu journalistiques française et va donc au-delà de la sanction dont son auteur fut l’objet.  

Ce livre est écrit, en partie, comme un roman « à clefs ». C’est un choix, dont Aude Lancelin se justifie au début du livre. Mais, c’est un choix assez discutable. Sauf pour un lecteur de ma génération (soit de 60 ans bien passés) certaines clefs risquent d’être perdue pour de jeunes yeux. Quant à faire, on eut préféré qu’elle livre tous les noms. Qu’importe, pour qui sait lire, il y a des choses des plus intéressantes dans cet ouvrage. On y voit la montée du pouvoir de l’argent sur une presse que l’on avait cru assainir après l’occupation, et qui se révèle, les années passant, de plus en plus sensible à une forte soit masquée, soit directe, de corruption. On y voit aussi comment le pouvoir, et particulièrement celui de François Hollande, intrigue pour avoir, par le biais de choix bien réglés d’actionnaires, une presse « à sa botte ». Ni les journalistes, ni les politiques ne sortent grandis de ce livre, les premiers du fait de leurs faiblesses et de leurs compromissions, les seconds en raison de leur fascination malsaine pour les « faiseurs d’images ». Mais, quand on a renoncé au faire, et donc au savoir faire, comme c’est le cas depuis maintenant une quinzaine d’années, il ne reste plus que le faire-savoir. La communication remplace petit à petit et la politique et le journalisme, et il n’est pas vraiment surprenant que le P « S » se trouve à la tête de ce mouvement.

De ce point de vue, on ne saurait que recommander la lecture de cet ouvrage. Pour le non-initié, il se révèlera une plongée des plus instructives dans les eaux fétides d’un journalisme à gages comme l’on dit des tueurs du même nom. Pour ceux qui savent, ils y trouveront des confirmations étonnantes, des rappels instructifs, en particulier sur l’affaire BHL-Botul mais aussi sur quelques autres. Aude Lancelin a écrit un livre éminemment utile, et il faut l’en remercier chaleureusement. Alors que s’ouvre une période électorale importante, savoir ce que vaut la presse qui prétend nous informer n’a pas de prix.

Qui trop embrasse mal étreint ?

Cet ouvrage, Le monde libre, est donc un ouvrage qui est à lire. Mais c’est aussi un ouvrage qui laissera son lecteur frustré, voire insatisfait. Car, Aude Lancelin a en fait écrit au moins quatre livres en un. On pense à ce sujet à certaines publicités qui vantent les effets multiples d’un même produit. Bien sûr, Le monde libre n’est un tube de dentifrice, et chacun de ces livres a son intérêt. Mais, chacun de ces livres impliquait un style particulier, une forme spécifique de raisonnement. En voulant les traiter dans un même ouvrage, Aude Lancelin s’expose au risque de l’incongruité de certains effets de style ; c’est ici le syndrome « qui trop embrasse mal étreint ».

Ce livre peut donc se lire comme une chronique et une histoire intellectuelle des quarante dernières années du Nouvel Observateur puis de l’Obs. C’est surtout là que l’effet de « roman à clef » du livre est peut-être le plus justifié. Mais on reste sur sa faim quand aux évolutions intellectuelles de ce qui fut un des emblème de la « gauche ». L’égocentrisme de « Jean Noël » (aka Jean Daniel) était déjà une évidence à la fin des années soixante et ne saurait tout expliquer. En fait, cela impliquerait une histoire intellectuelle de la « gauche intellectuelle », et donc un livre entier.

Un deuxième livre qui est en gestation dans Le monde libre, concerne les relations financières et actionnariales devenues si importantes dans la presse française, après que cette dernière ait tenté de s’en affranchir de 1945 à 1948. On peut contester l’étonnement, réel ou feint, à cet égard d’Aude Lancelin. On n’a pas les responsabilités, et l’expérience, furent les siennes sans avoir une idée assez claire de ces relations, des contraintes qu’elles font peser sur les journalistes, et des arrangements auxquelles elles donnent lieu. Quitte à aborder ce problème, et il fallait certainement le faire, il fallait aller jusqu’au bout, et nous donner sa réflexion sur l’aide d’Etat, sur sa possible réforme ou son éventuelle suppression. Car, cette aide d’Etat n’a pas empêché la cartellisation de la presse, et fonctionne désormais comme un système de rente. Les analyses qui ont été produites, que ce soit dans le Monde Diplomatique ou par l’association ACRIMED, constitueraient une possible porte d’entrée, une porte que Aude Lancelin n’a pas voulu pousser, mais cela à ses dépens.

Un troisième livre présent au sein de cet ouvrage porte sur les arrangements du « milieu » journalistique avec certaines figures du mode intellectuel. Trois en sont cités, Finkielkraut, Badiou et BHL Cela donne lieu à des pages assez savoureuses de l’ouvrage, comme celles qui concernent l’affaire « Botul » où notre pseudo-philosophe se prit les pieds dans le tapis, mais aussi celles concernant l’affaire dans l’affaire, autrement dit les efforts désespérés de certains journaux, parmi les plus prestigieux, pour sauver la réputation de BHL… Cependant, une fois encore, on reste sur un sentiment de frustration. Outre le fait que sa détestation pour le premier et son estime pour le second est par trop évidente, traiter de cela par l’anecdote, même si cette dernière peut être révélatrice laisse un problème majeur dans l’ombre : celui de la confusion entre l’article d’analyse et l’article d’opinion. Je serai bien le dernier à reprocher à une (ou un) journaliste d’avoir une opinion et de l’exprimer. Mais je ne peux admettre que cela soit fait en présentant cette opinion comme une analyse, en présentant ce qui n’est que la subjectivité d’un individu comme un fait de raisonnement. Aude Lancelin, ici, partage ce qui fait aujourd’hui le malheur de la profession de journaliste (et le bonheur d’un certain nombre de blogueur), le fait de confondre les registres. On ne trouve aucune réflexion critique sur sa pratique qui a participé à cette dérive du journalisme français.

Des méthodes de gangsters

Il a, ensuite, un quatrième livre, et c’est celui qui est, et de loin, le plus intéressant car le mieux développé, l’histoire de son éviction. Il faut ici inviter le lecteur à lire soigneusement les chapitres de la fin du livre. Ils éclairent avec précision à la fois l’hypocrisie de certains de ses collègues, mais aussi les interventions au plus haut niveau qui se sont révélées dans le cours de cette affaire. Il est de notoriété publique qu’Aude Lancelin a pour compagnon Fréderic Lordon, et cela ne devrait regarder qu’eux et eux seuls. Mais, la décrépitude des mœurs politiques étant ce qu’elle est, cela a suffit pour que l’on instruise à son égard un véritable petit procès stalinien sous l’aiguillon de l’Elisée. On peut, assurément, être un peu gêné par la comparaison avec feu l’Union soviétique. Les risques y étaient bien plus graves que ceux qu’encourent aujourd’hui les journalistes mal-pensants. Mais, on doit aussi reconnaître qu’il y a une parenté dans les méthodes, et que la France est entrée en « démocrannie »[2], soit ce mélange instable de démocratie et de tyrannie. Plus étrange est cependant ici l’absence d’un rappel : celui de la violence des attaques dont furent victimes les partisans du « non » au référendum de 2005, ou encore de la sortie de l’euro. Y aurait-il donc de « bonnes » et de « mauvaises » victimes de ces procédés de gangsters qui ont été indiscutablement employés contre Aude Lancelin ? Car, disons le, les méthodes qui furent utilisées pour aboutir à son éviction relèvent du gangstérisme en bande organisée. Nous avons donc un Parrain, qui siège au château, qui mobilise ses lieutenants qui eux ont recours à divers malfrats et autres porte-flingues. Bref, c’est « Certains l’aiment chaud » dans les milieux du journalisme, milieux qui s’apparentent de plus en plus au « mitan » de Simonin. Mais, ces méthodes ne sont pas nouvelles ; elles ne datent pas de hier. L’esprit serait plus libre pour prendre la défense d’Aude Lancelin, ce que j’ai fait quand elle fut l’objet de ces basses manœuvres[3], si elle avait l’élégance de reconnaître qu’elle ne fut pas la première (et qu’elle ne sera hélas point la dernière) d’en être victime.

Le livre d’Aude Lancelin reste un document nécessaire et éclairant, en dépit de ses limites, un ouvrage que l’on se doit de recommander à tous. Il éclaire d’une lumière blafarde la sordide réalité d’une profession qui sombre sous le double effet de la montée des communicants et de l’ingérence des milieux d’affaires. Il est le faire part du décès de la presse libre.

[1] Lancelin A., Le monde libre, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2016.

[2] Sapir J., « De la démocrannie », note publiée sur le carnet RussEurope, le 13 mars 2016, https://russeurope.hypotheses.org/4795

[3] Sapir J., « Lutte contre la loi El-Khomri et Souveraineté », note publiée sur le carnetRussEurope, le 27 mai 2016https://russeurope.hypotheses.org/4988

 PAR  · 

La phrase du jour

PLUS L'EFFONDREMENT D'UN EMPIRE EST PROCHE PLUS LES LOIS SONT FOLLES Cicéron

Les vrais chiffres

  • L'Economie CASINO...C'EST BON POUR EUX!

En 2016, UN RECORD / les entreprises du CAC 40 ont distribué  55,7 MILLIARDS de DIVIDENDES et de RACHATS D'ACTIONS AUX ACTIONNAIRES...

Read More